Ecrit pour un duel en mai 2007
Mais qui es-tu vraiment ?
Je peux encore sentir le goût de ta peau sur mes lèvres, alors que tu es déjà hors de vue depuis plusieurs heures. Je suis toujours là, seule, plantée au milieu de cette plaine venteuse, à attendre d’une manière désespérée et presque hystérique de te voir réapparaître sur le rebord trop lisse de l’horizon. La dernière vision que j’ai de toi est celle d’un homme vieux, fatigué, trop fatigué pour faire ce qu’il a à faire, mais trop têtu pour abandonner, alors que tu me tournais le dos et que, sans un mot d’adieu, tu sortais de ma vie. Cette fois, pas de porte à franchir, pas de mot de passe, pas de code secret, pas de panique, pas de course contre le temps. Cette fois, ce n’est pas le destin qui nous disperse comme il affectionne tant de le faire, cette fois, c’est toi qui t’en vas. Pour la dernière fois, tu t’en vas.
Je finis par m’asseoir sur le sol sableux de cette terre dévastée. Je suis ici pour toi, après tout, alors je n’ai plus rien à y faire. C’est toi qui m’as emportée dans ce monde sans retour. Non, pas emportée ; tu m’y as attirée, tirée même. Sortie de mon élément et plongée dans celui-ci. On ne peut pas dire que j’étais bien avant, j’avais le mal du monde dans lequel je vivais. Je n’étais jamais vraiment moi-même, sachant que j’attendais quelque chose, mais sans savoir quoi. Ou qui. Quand tu m’as trouvée, j’étais perdue. Dépressive. Violente. Hors de contrôle. Déracinée. Tout cela parait si loin à présent. Si dérisoire. Tu as simplement tendu la main, une de tes si jolies mains, avec des doigts très fins. J’ai pensé que tu devais être artiste, probablement musicien avec de si beaux doigts. Rien ne me préparait à croire que ton instrument était un pistolet, vieux comme le monde, vieux comme tous les mondes.
Le vent souffle toujours plus fort, je le sens qui pousse le froid jusqu’au fond de moi, ce froid qui semble sceller un pacte de non-retour. Il s’insinue dans ma chair, glisse le long de ma peau, et pénètre au fond de moi jusqu’à la moelle. Nous ne sommes plus si loin. Enfin toi, tu n’es plus si loin. Je ne suis plus de la partie à présent. Tu veux continuer seul. Tu dois être tellement proche d’elle, de celle qui hante tes rêves tout comme tes cauchemars. Tu as rêvé d’elle. Tu as trahi pour elle. Tu as tué pour elle. Nous avons tous tué pour elle. Juste pour la voir. Juste pour savoir qu’on la trouverait et pour nous prouver à nous-même qu’elle existe bel et bien et qu’elle est toujours debout. Mais tu as fait tellement plus de route que nous. Tu as été si loin, et tu venais déjà de si loin. Pour nous, ce n’était qu’un bout de chemin que l’on a tracé avec toi. C’était si insignifiant. Je suis la dernière. Je suis seule et je te maudis de m’avoir laissée alors que nous pouvions y arriver. Pour ma sécurité ? Foutaises ! Simplement parce que tu es le seul à devoir aller jusque là, il était écrit que c’était toi qui devait y parvenir, toi qui devait y monter et toi qui devait y régner. Pas une pauvre fille comme moi, aussi habile que je sois devenue, aussi douée avec des pistolets que je sois, aussi prise par la passion de la quête que j’ai pu l’être. Ce n’était pas à moi d’aller jusqu’au bout. Et puisque je ne suis pas morte en chemin, puisque la clairière au bout du sentier n’a pas voulu de moi si tôt, et bien tu m’as abandonnée.
Je me souviens de cette journée pluvieuse qui avait suivi notre plus gros combat, celui à La Route. Je peux encore, quand je ferme les yeux, te voir, droit et fier, au centre du village, cerné d’ennemis mais entouré d’amis, le pistolet bien appuyé sur ton épaule, tes tirs si rapides que l’œil ne pouvait que constater les dégats, après coup, et tirer les conclusions nécessaires. Tes yeux bleus, perçants, qui visualisaient trop bien la scène où nos pauvres ennemis n’auraient jamais du croiser ton chemin. Parce qu’avec toi, il n’y a jamais de deuxième chance. Pas de repentir, pas d’excuses, pas d’hésitations. L’odeur du sol mouillé emplissait mes narines, alors que je visais bien plus avec mon instinct qu’avec mes yeux, brouillés qu’ils étaient par la pluie mêlée à la fumée de nos armes. Mais toi, je te voyais. Tu ne vis que pour ça : te battre et parvenir enfin à tes fins. A force de te côtoyer, nous avons nous aussi finit par ne vivre que pour ça. Pour sentir le moment où c’est son corps qui prend le contrôle et que l’on n’est plus qu’un simple spectateur de ses actes. Nous sommes devenus des prolongations de toi. Cependant, là où nous pensions être indispensables, nous étions tout juste utiles. Ils sont morts pour toi, pour te porter plus haut, pour te mener plus loin dans ta quête. J’aurais voulu mourir pour toi. Je pourrais mourir pour toi. Donner ma vie, si peu intéressante et si fade contre la tienne, si riche et si colorée. Mais le hasard, le destin, ou quoi que ce soit, ne m’en a pas laissé l’occasion.
Je suis toujours là, assise sur le sol dur, et je sens le noir qui me grignote, la folie qui s’approche dangereusement. Oh bien sur, certains diront que j’aurais simplement du te suivre, que probablement tu voulais me protéger des choses que l’on pourrait rencontrer là-bas, lugubres, dangereuses, mortelles. Mais il n’en est rien. Je ne t’aurais pas suivi de toute façon. Je suis absolument incapable de contester un ordre venant de toi, sauf lorsque tu plaisantes. Et nous étions à des lieues de la blague. Tu n’as jamais été aussi sérieux que lorsque tu m’as dit : « Suze, je continue seul. Ce chemin n’est pas le tien. » Rien d’autre, pas de merci, pas d’au revoir. Pas d’embrassades. Je me suis penchée, j’ai déposé un baiser sur le coin de tes lèvres et tu as tourné les talons. Comme ça. En m’oubliant dans les ténèbres de l’éternité.
Je pensais que je pouvais t’accompagner, après avoir tout donné, et après avoir tout perdu, je pensais avoir gagné –chèrement — le droit de la voir moi aussi. Mais non. Je pensais que tu avais appris à m’aimer, malgré ton air détaché et ta vie sans collier. Je pensais que tu accepterais ma compagnie, ayant perdu tant d’amis au cours de cette longue route. Je pensais que tu serais moins égoïste et plus humain que celui que j’ai embrassé quelques heures auparavant. Celui qui m’a laissé sans un mot. Celui qui pensais que j’ai été d’une grande aide, mais que ma route est terminée désormais. Celui que je pensais connaître, mais que finalement, je découvre aujourd’hui seulement…Je sais ce que tu es, je sas ce que tu as fait, je sais ce que tu veux, ce que tu aimes, ce que tu détestes, je connais tes goûts et tes passions, mais il y a une chose que tu dois me dire, mon amour : qui es-tu vraiment ?