Marie D
Nombre de messages : 105 Age : 39 Localisation : Dans une pile de bouquins, chez moi ou à la bibliothèque Livre coup de coeur : Le Seigneur des Anneaux, les Thanatonautes (Bernard Werber), La Nuit des Temps (Barjavel) Date d'inscription : 25/10/2008
| Sujet: Folie Jeu 11 Déc - 0:34 | |
| Des tournesols qui éclairent un visage. Une maison jaune, place Lamartine. Vincent tient sa tête entre ses mains. La douleur bat à ses tempes, c’est un concert assourdissant. Mais il se sent satisfait. Il a l’impression qu’elle est partie, cette maladie qui le gênait tant. Il se refuse à croire qu’elle le ronge toujours. C’est impossible. Un être comme lui, ne peut être atteint par une chose aussi dégradante. Une chose, qu’il a bien du mal à nommer. Cela commence par un petit point dans le paysage. Comprenez : dans sa tête. Car sa tête est un immense paysage, plein de couleurs vives et de lignes courbes. Un paysage qui pourrait sembler torturé, mais qui est si lumineux, que la beauté transparaît d’elle-même et nous donne l’envie de sourire, l’envie de vivre. Alors pourquoi ? Pourquoi avoir ces idées néfastes dans la tête ? Pourquoi la mort le hante-t-elle parfois, dans ce que ses amis appellent « ses moments de crise » ? Tout se bouscule en lui, alors qu’il contemple le sol de sa demeure. Il réfléchit à toute vitesse, sans s’en rendre compte. Un génie. Voilà comment le nomment ses amis, Georges, Camille, Emile, Paul et les autres. Paul. Un ami fidèle, qu’il a entraîné dans sa misère, et qui maintenant est parti. Il s’en veut, Vincent. D’avoir osé menacer un compagnon d’une arme. De l’avoir emmené avec lui aux portes de la mort. Sans que celui-ci ne l’ait jamais désiré. Mais lui, le désire-t-il ? S’approcher sans cesse d’une sombre destinée ? La folie. Elle l’entraîne sous terre, l’enserre de ses griffes acérées, l’empêche de partir, rit de son malheur. Mais non. Ce n’est pas possible. Il n’est pas fou. Il ne peut l’être. Un génie ne peut être fou. C’est l’antithèse l’un de l’autre. Mais alors ces crises ? Ce désespoir ? Ces colères qui montent d’on ne sait où, qui lui font perdre ses repères ? Cette raison qui s’éclipse, le rendant presque amnésique ? Mais aujourd’hui il ne l’est pas. Il relève la tête. Tout lui revient en mémoire, comme une image un peu floue qui finit par s’éclaircir. Cette dispute sans grand intérêt. Cette rage qui lui fait prendre une lame de rasoir. Cet ami cher qui prend peur, fait mine de se contrôler et finit par fuir. Le désespoir ensuite, qui envahit son cœur. Il culpabilise. D’être une charge pour son frère, Théo, pour les autres, comme Paul. Lui qui est encore inconnu, qu’aucune toile n’a rendu célèbre. Vincent se lève, à nouveau rageur. Se plonger dans son âme torturée ne lui a jamais fait de bien. La folie le hante continuellement, le menaçant de l’emporter, de lui faire perdre pied. Deux voisins en discutaient en jour, sans s’apercevoir qu’il était là. L’un parlait de « grain de folie », l’autre « d’araignée au plafond ». Quelle est la différence entre les deux ? Peut être le grain empêche-t-il de passer le cap. De partir ailleurs. D’agir. Quant à l’araignée… que diable vient-elle faire là ? Elle gigote, elle gratouille, elle tisse sa toile, emprisonnant le reste de génie. Mais son génie à lui est encore là. Il est plus loin que le grain, pas assez près de l’araignée. Sans s’en rendre compte il est à nouveau dans ses pensées. Debout, la tête à l’horizontale fixant le plancher. La douleur, il ne la sent plus. C’est une couleur qui vient perturber ses réflexions. Du rouge. Une tache ronde rouge vient d’atterrir au sol, dans un petit « ploc » tout doux. Il se réveille alors. Du sang. Bien sûr, c’est le sien. Il porte la main à son oreille, ou à ce qu’il en reste. Et la douleur se rappelle à lui. Lancinante, fière d’être là et ne voulant se déloger. Vincent marche vers la table. Dessus, la lame de rasoir. Il la remercie secrètement. Grâce à elle, il est enfin débarrassé de cette « folie » qu’il n’ose nommer. Celle qui est la cause de tout. Elle se logeait là, tranquille, espérant passer inaperçue. Mais Vincent, dans sa culpabilisation, s’était rendu compte que lors de ses crises, il touchait constamment ce lobe d’oreille, comme pour un regain de rage et d’énergie. Alors la lame est venue mettre fin à ce calvaire. Le supplice est terminé. Et on ne peut même pas le traiter de fou cette fois, car l’unique responsable, c’est cette lame. C’est elle qui l’a supplié de s’en servir. Certes sa main l’a guidée, mais l’arme a tout fait toute seule. En pensant à cela, Vincent est soulagé. Il retombe dans sa folie. A côté de l’arme rougie, un paquet. Fait avec de vieux journaux. On y voit des traces, elles aussi rouges. Vincent doit s’en débarrasser, c’est l’horrible Folie qui s’y cache. Il sort dans la rue, et le froid il ne le sent pas. Il erre un moment, avant de savoir à qui il va offrir ce cadeau empoisonné. Il faut être une folle pour se trouver à moitié nue sur le trottoir, à cette heure de la nuit un 24 décembre. C’est Rachel. Elle vend son corps. Quelle folie ! Tiens Rachel, un cadeau, prends-en soin. Peut être qu’après, tu sauras peindre… Vincent rentre tranquillement chez lui. Il est serein, face à sa maison jaune. Et quand il part se coucher, les tournesols éclairent encore son visage.
Des tournesols qui éclairent un visage. Un musée, celui de la National Gallery de londres. Je suis assise en face d’une de tes œuvres, repensant à ce que fut ta vie. Un génie fou. Tu pensais cela impossible, et pourtant tu en fus la plus belle preuve. Je suis seule. Et j’aime cette solitude. Je contemple la lumière, les lignes tourmentées, la beauté. Je rêve de peindre un jour une telle merveille. J’ai quelques talents, moi aussi. Inconnus, comme les tiens. Peut-être comme toi, je ne serai reconnue qu’après ma mort. Qu’importe. J’aurais vécu en faisant ce que j’aime. Il y a un sage, qui des siècles avant toi, avait dit « Il n’y a point de génie sans un grain de folie ». Ce sage c’était Aristote. Et il avait raison. Mais rassures-toi, Vincent Van Gogh, tu avais bien un grain de folie, mais il était bien placé. Et ton génie était encore plus présent après avoir coupé ton oreille. Ta folie aussi. Voici un petit cadeau pour toi, Vincent, que je dépose devant ton tableau. Lui aussi enveloppé dans du journal. Parce que ton génie, j’espère en hériter.
Un génie est un fou qui s’ignore, ou qui refuse de l’admettre. Il n’y a point de génie, sans un grain de folie, Aristote. | |
|
Asahi Admin
Nombre de messages : 617 Age : 31 Localisation : Bruxelles Livre coup de coeur : étudiante Date d'inscription : 10/08/2007
| Sujet: Re: Folie Sam 13 Déc - 19:23 | |
| Waw ! je suis sans voix. C'ets vraiment un très beau texte. Philosophique et tout.. Comme je les aime. Un tout grand Bravo ! | |
|