Dans la cour de l’école, comme à chaque récréation, Mélie se retrouvait toute seule à jouer dans son coin oubliée de tous. Ses longs cheveux bruns, sales et emmêlés, que sa maman n’avait jamais le temps de coiffer, lui cachaient les yeux, sa robe, trop vieille et usée, était rapiécée par endroits, quand ce n’était pas le tissu qui s’effilochait si bien que les autres avaient pris l’habitude de la surnommer « Mélie, la crasseuse ». Avec les années elle avait finit par s’habituer aux moqueries et aux mauvais traitements, si bien qu’à six ans, elle était déjà si timide et renfermée que plus personne ne s’occupait d’elle.
Elle jouait dans son coin seule, berçant sa vieille poupée de chiffons, lui prodiguant l’affection qu’elle n’avait jamais reçue. Ce jour là elle s’amusait à la coiffer avec un vieux peigne en bois, qu’elle avait ramassé par terre, essayant de tresser les morceaux de laine qui lui servaient de cheveux, quand soudain… quelque chose lui heurta violement la tête. Elle se retourna rapidement, pour voir une bande de garçons de sa classe qui partaient en riant.
«C’est pour toi, Mélie la crasseuse ! Comme ta fauchée de mère, elle peut rien te payer !
Elle se sentit rougir et les larmes lui montèrent aux yeux sous l’effet de la colère. Tremblante elle sera les poings et se mordit la lèvre le plus fort possible, jusqu’à ce que le goût du sang envahisse sa bouche. C’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour ne pas céder à ses pulsions. Elle massa son crâne douloureux et baissa les yeux pour ne pas qu’on la voie pleurer. C’est alors qu’elle le vit. Le livre. Avec un mélange de respect et de curiosité elle le ramassa. C’était le premier qu’elle tenait entre ses mains, en dehors de ses livres d’école, ça coutait trop cher, ils ne pouvaient pas se le permettre. Il semblait très vieux avec sa couverture effilochée, son titre aux lettres écaillées, si bien qu’il était devenu presque illisible. Elle feuilleta les pages jaunies, déchirées, cornées ou tachées par endroits. Ce n’était pas un album d’image, comme son père lui avait montré un jour, non c’était un vrai livre avec des lettres de partout. Elle avait l’impression de tenir un véritable trésor entre ses mains, un document précieux aux signes étranges. Elle imaginait déjà les histoires fantastiques qui s’y cachaient, peut être des dragons, des fées, des princes qui sauvaient de belles princesses aux longs cheveux dorés, comme les poupées des beaux magasins, des chateaux avec un bon feu de cheminée où l’on avait jamais froid, des étincelles, de la magie… Il était sûrement passé de mains en mains, peut être avait t’il appartenu à une petite fille comme elle, à qui la mère lisait des histoires au coin du feu le soir. Oh, comme elle aurait aimé être à sa place. Et elle serra le livre contre son cœur, espérant encore sentir la chaleur du doux brasier, la caresse des mains douces de la mère qui tournait les pages… Elle se voyait dans un doux fauteuil, bercée par cette voix maternelle, n’ayant ni froid, ni faim et s’endormant en rêvant d’aventures extraordinaires. Elle s’imaginait déjà en héroine, magicienne ou habile guerrière chassant les méchants qui se moqueraient d’elles. Oui, ce livre qu’elle tenait ouvert sur ses genoux était la porte d’un imaginaire caché, dont elle serait la reine…
Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing.
La cloche sonna et tous les enfants commencèrent à se diriger vers la classe. Elle rangea rapidement le livre dans son cartable pour ne pas que les autres la voient, et rejoignit ses camarades. Et dans les semaines qui suivirent les maitres furent étonnés de l’entrain et de l’application de la petite qui d’habitude ne disait jamais rien. Et chaque soir en rentrant, elle sortait le livre de son cartable, caressait doucement la couverture brunie et murmurait :
« Bientôt, oui bientôt je saurai lire. »